Le Groupe de Haute Montagne

Préambule

En France, à la fin du XIXe siècle, apparaissent peu à peu les quatre grands courants de pensée et de démarche sportive qui vont traverser le Club Alpin Français et le monde de la montagne :
   - les orientations culturelle et scientifique.
   - les pratiques modérées et sportives.
Les inclinaisons culturelle et scientifique, que l'on peut qualifier d'intellectuelles, seront longtemps mises en avant par le Club Alpin, ainsi que les activités tournées vers l'excursionnisme et un alpinisme modéré.
En ce qui concerne les pratiques plus sportives, les « conceptions aventureuses », qui commençaient à se présenter, elles susciteront les plus grandes réserves de la part de l'instance dirigeante qui défendra longtemps de prudentes ambitions d'action.

Mais bientôt la jeunesse viendra secouer les modestes intentions d'action de leurs aînés.

SOMMAIRE :

Au fil du temps
- Une activité assistée
- L'alpinisme naissant
- L'alpinisme autonome
- 1908 - Le Groupe des Rochassiers
- 1919 - Un alpinisme sportif organisé
- Création du Groupe de Haute Montagne
- La collecte et la diffusion de l'information
- Des sources les plus authentiques possibles
- L'excellence alpine en moins de dix ans
- 1925 - Les premiers guides Vallot
- 1926 - Une édition de qualité Alpinisme
- 1930 - L'autonomie du GHM
- Une élite peu nombreuse
- Vers les plus hauts sommets du monde
- 1939 - Une histoire de l'Alpinisme
- 1946 - Les guides-itinéraires du massif des Écrins
- 1947 - Les guides-itinéraires Vallot du massif du Mont-Blanc
- 1948 - Le même homme, président du GHM, du CAF et de la FFM
- 1955 - Le titre La Montagne & Alpinisme
- 1955 - Les Annales du GHM
- La seconde partie du XXesiècle 
- Les insignes du GHM

 

Au fil du temps

Après des premières initiatives aventureuses, c'est la science qui va faire avancer l'idée de gravir les montagnes, et donner l'élan décisif à leurs explorations.

Durant un long moment, jusqu'au milieu du XIXe siècle, il faudra s'accompagner du baromètre et du thermomètre pour justifier l'aventure, jusqu'au moment où les Britanniques feront voler en éclats les arguments scientifiques dans l'approche des montagnes.

Pour d'autres, en service commandé, il s'agira d'établir des repères et effectuer les visées de la triangulation des régions montagneuses de France, destinés à l'établissement des cartes géographiques (voir le dossier du CFD : Un historique de l'alpinisme de 1492 à 1914).

Une activité assistée

En 1760, ce sont naturellement les autochtones qui seront les premiers capables de conduire les ascensionnistes, par les cols et accès confidentiels, d'abord dans les zones proches de leur lieu de vie.

Ils connaissaient la montagne, par tradition familiale, souvent des « passeurs », des bergers, des chasseurs, des cristalliers, des contrebandiers et autres coureurs de montagnes, avertis des meilleurs « passages ».

L'esprit d'initiative et celui d'aventure permettront aux meilleurs de se singulariser.

Des Guides locaux proposeront un accompagnement pour des excursions, comme celle conduisant au Montenvers, et faire admirer les glacières, puis participeront aux tentatives d'ascension du Mont Blanc qui commence à devenir le sujet du moment.

À partir de cette date, quelques-uns s'illustreront dans les Alpes et les Pyrénées.

Ensuite les Guides se recruteront localement par cooptation, parmi ceux qui voudront exercer cette fonction pas encore codifiée, après une formation « sur le tas » comme apprentis, les Porteurs...

Ils devaient posséder les qualités physiques requises et avoir une bonne connaissance des montagnes à gravir. Ils assuraient les risques principaux de l'entreprise.

Pour s'engager en montagne, sur le terrain de l'excursionnisme alpin et de surcroît sur celui de l'ascensionnisme, la bonne manière suggérée sera d'emboîter les pas du Guide.

Ce qui limitera longtemps - pour des raisons économiques et pas seulement - l'ascensionnisme à un cercle restreint.

Plus tard, des confréries et des corporations locales de Guides seront créées comme en 1807 en Suisse et 1821 à Chamonix.

L'ALPINISME NAISSANT

-  Le 8 août 1786, première ascension du Mont Blanc, 4810m par les deux Savoyards natifs de Chamonix, Michel-Gabriel Paccard (1757-1827) et Jacques Balmat (1762-1834). L'un est médecin et l'autre chasseur. Le premier est animé par son intérêt pour la science, au sommet du Mont Blanc les valeurs du baromètre et du thermomètre sont enregistrées. L'autre pour la récompense promise par Horace Bénédict de Saussure, pour qui trouvera un accès à la grande montagne (voir le dossier du CFD : Un historique de l'alpinisme de 1492 à 1914).

Ils comptent parmi les premiers audacieux agissant en autonomie.

Et on s'accorde à admettre que cette première ascension du Mont Blanc marque la naissance de l'alpinisme.

Ensuite les ascensionnistes des premières années ne vont se présenter que d'une manière occasionnelle, voire pour une unique incursion, avec une justification scientifique ou géodésique.

Ce n'est surtout qu'après l'ascension du Mont Blanc par Horace Bénédict de Saussure de 1787, accompagné de 12 Guides locaux, et la notoriété donnée à l'événement que l'assistance aux Guides deviendra naturelle et sera la bonne façon de faire.

Les premières initiatives

Souvent des démarches locales de naturalistes, de personnalités régionales et de paysans de piedmont, parmi les plus décidées, animés par l'aventure. La mesure des altitudes et la pression du baromètre sont les justifications de l'époque.

Ce sont des entreprises uniques et sans lendemain.

Dans les Pyrénées, au XVIIIe siècle et avant 

Voir dans le dossier Un historique de l'alpinisme 1492-1914

Dans les Alpes de 1800 à 1850 

Voir dans le dossier Un historique de l'alpinisme 1492-1914

Dans les Pyrénées, au XIXe siècle

Voir dans le dossier Un historique de l'alpinisme 1492-1914 

Les officiers géographes de la carte de France de 1825 à 1830

Voir dans le dossier Un historique de l'alpinisme 1492-1914

L'ALPINISME AUTONME

- En 1848, Victor Puiseux (1820-1883) est le premier en France à réussir l'ascension d'un sommet notable, dans le seul intérêt d'en effectuer la visite, le Mont Pelvoux, 3943m dans le massif des Écrins, la concrétisation d'une initiative personnelle. Seul, et un moment accompagné pendant l'approche par un villageois de la vallée.

Une initiative précurseur réalisée avant l'engouement des Britanniques pour gravir les montagnes, et après les initiatives remarquables des officiers géographes de la carte de France dès 1825, agissant en service commandé.

-  Charles Hudson et Edward Shirley Kennedy effectuent l'ascension du Mont Blanc sans tuteur en 1855.

-  En 1876, le Cervin est gravi sans assistance par Albert Harold Cawood, John Brise Colgrove, et Arthur Cust.

-  Depuis 1876, de nombreuses ascensions sont entreprises en autonomie en Autriche.

-   Déjà en 1877, il existait les initiatives remarquées de Victor et Pierre Puiseux :

« MM. Puiseux père et fils ajoutent à la valeur de leurs ascensions le mérite de les faire sans Guide », ce furent des avant-gardistes qui en France ne seront pas immédiatement suivis.

-  En 1885, Ludwig Purtscheller, Emil et Otto Zsigmondy avaient réalisé la traversée de la Meije

C'est la plus belle performance de l'alpinisme sans Guide du XIXe siècle.

-  Dans le même temps des cordées, agissant en autarcie, apparaissent en Europe, l'alpinisme devient un sport populaire en Bavière, en Autriche et en Suisse… Ils sont les précurseurs d'une pratique émancipée.

-  Outre-manche, dès 1892 Albert Frederick Mummery est le protagoniste d'un alpinisme autonome - sans Guide - et qui le fît savoir (voir le dossier du CFD : Un historique de l'alpinisme de 1492 à 1914).

Le but du jeu

Pour Emil Zsigmondy « une ascension n'a de sens, de valeur que si le grimpeur la réalise par ses propres moyens ».

« Désormais, rien ne doit venir s'interposer entre l'ascensionniste et la montagne ».

Le but ultime du jeu est de devenir autonome et responsable.

<  En 1892, ascension des Grands Charmoz, et traversée de l'Aiguille du Grépon, par Mummery et autres.
<  L'année suivante, première de la Dent du Requin, et de l'Aiguille du Plan versant Chamonix, par Mummery et autres.
<  En 1894, l'arête du Moine de l'Aiguille Verte, la traversée du Cervin et surtout le Mont Blanc versant Brenva, par Mummery et autres, comptent parmi les ascensions les plus probantes d'un alpinisme autonome naissant.

Parmi les rares premiers alpinistes émancipés français, il faut citer Ernest Thorant ; il réalisa de cette façon - avec Henri Chaumat - la première ascension de la face nord du Mont Aiguille en 1895. Et aussi l'ascension de la Meije avec Auguste Payerne, mais les deux feront malheureusement une chute mortelle durant la descente…

<  En 1900, c'est pour Heinrich Pfannl, avec T. Maischberger et F. Zimmer, la première ascension sans tuteur de l'arête de Peuterey du Mont Blanc.
<  En 1901, les frères Gugliermina inaugurent l'arête du Brouillard ; et reprennent l'arête de l'Innominata en 1921, sur le culmen des Alpes.
<  En 1905, Hans Pfann et J. Itlinger répètent l'arête de Peuterey ; et en 1912, l'arête du Brouillard encore sur le Mont Blanc.

La question de l'alpinisme autonome

Au sujet de l'alpinisme autonome, le Manuel d'alpinisme de 1904 est explicite et prudent :

« Cette question, qui a donné lieu à des discussions passionnées, nous semble aujourd'hui résolue par l'usage. Les courses sans guide se multiplient de plus en plus. Il est donc utile de faire ressortir leurs risques particuliers et disons-le aussi, leurs avantages ».

La revue La Montagne consacre en 1910 un article à l'alpinisme sans Guide, prudemment pour ne pas choquer, de la main d'un membre influent du Club Alpin Italien.

De ce temps-là, Claudius Joublot fut un autre des rares alpinistes français à parcourir la haute montagne en autonomie.
lus tard, rédacteur en chef de la Revue Alpine, il est le premier à porter un intérêt particulier aux grandes ascensions. Lire l'article : Les débuts de l'alpinisme sans guide français, par Lucien Devies, dans Alpinisme de juin 1941.

1908 - LE GROUPE DES ROCHASSIERS

Déjà en 1908, peut-être 1906, un petit groupe de grimpeurs fréquente régulièrement les massifs des rochers de Fontainebleau, dans le but de s'initier et de s'entraîner à l'escalade : « Le Groupe des Rochassiers », structure informelle fondée par les anciens des Caravanes scolaires de la Section de Paris du Club Alpin.

 Les grès de la forêt de Fontainebleau sont visités régulièrement par les caravanes d'excursionnistes du Club Alpin depuis la fin du XIXe siècle. Les sentiers dans les beaux chaos gréseux sont proposés dès 1832 par le sylvain Claude François Denecourt (1788-1875), avec le balisage par des marques de peinture sur plus de cent kilomètres de sentiers. L'arrivée du Chemin de fer, en 1849, rendra la forêt accessible depuis Paris, ce qui participera grandement à la popularité de la forêt.

Rapidement des projets se concrétisent, des cordées autonomes se constitueront pour les vacances de l'été dans les Alpes.

Et dès 1910 des nombreuses courses sont entreprises en autarcie…

La Chronique alpine dans la revue La Montagne de décembre 1910 publie les premières initiatives alpines du petit groupe des Rochassiers.

Parallèlement - il n'a pas encore l'âge - Jacques de Lépiney traverse la Meije avec les Guides Hippolyte et Florentin Pic, il a seulement 14 ans.

Les anciens du groupe étaient : Jacques Wehrlin qui assurait l'organisation de la petite entité, Pierre Le Bec, André Jacquemart et Paul Job.
Les plus assidus en 1912 : Paul Chevalier, Étienne Jérome-Lévy, André Migot, Alice Agussol (Damesme après son mariage), Maurice Damesme, Jean Maunoury, Pierrefeu et Louis Prestat.

Il y avait aussi Robert Allier, Braun, Cayla, Édouard Chabert, Chocarne, Laillot, André Lejosne, Pottier et Théraud. Les réunions régulières se terminaient chez Hans, cour des Petites Écuries à Paris, où « la bière y était excellente ».

En 1913, le groupe s'augmente de Jacques et de Tom de Lépiney.

Issu des Caravanes scolaires, le Groupe des Rochassiers sera le lien fort qui conduira plus tard en 1919, à la création du Groupe de Haute Montagne.

1910 - Les principales avancées techniques viendront des Alpes orientales.

Elles seront liées aux grandes ascensions des parois calcaires des Alpes orientale (voir le dossier du CFD : Un historique de l'alpinisme de 1492 à 1914).

C'est à ce moment-là, avec l'utilisation des crochets de murailles (pitons), que les notions d'escalade libre et d'escalade mixte et artificielle commenceront à être évoquées.

Une évolution sensible

Pour le Club Alpin, nous sommes bien en pleine évolution vers cette façon de faire « aventureuse et gratuite », concernant une activité « sans règlement et sans arbitre fondée sur une éthique non écrite et fluctuante ».

Mais pour une petite partie seulement de ses adhérents, et sans l'appui suffisant des instances dirigeantes.

1912 - L'organisation n'était pas prête

Au sein du Club Alpin, les avis sont très partagés concernant les différentes formes de l'alpinisme.

Le rapport annuel de l'Assemblée générale de 1908 indique encore sous la plume de son rapporteur : « quant aux escalades scabreuses qui n'ont pour excuse ni la curiosité scientifique, ni l'ivresse d'une première conquête, il me semble que le moraliste ne peut que les condamner ».

Dans celui de 1910, Jean Escarra rappelle la ligne politique :

« À la montagne nous demandons beaucoup plus, n'y cherchant l'aguerrissement du corps que pour atteindre à l'exaltation des facultés de l'esprit ». Au passage, il égratigne ce qui s'écarte du correctement difficile, « la poursuite obsédante de la quintessence des casse-cou ».

Et si dans le discours du président Gaston Berge de 1910 tout est dit et bien dit, les actes ne suivront pas, car de fortes résistances existent :

 « Pour les modérés, l'alpinisme consiste à faire du tourisme en montagne, monter vers les belvédères réputés, mais aisément accessibles, vagabonder de vallée en vallée à travers des cols faciles, mener la vie libre dans l'immense nature alpestre et, sans surmenage excessif, y acquérir force et santé.
Pour d'autres, je me hâte de dire que c'est le plus petit nombre car il faut des moyens physiques appropriés, la conception de l'alpinisme ajoute - aux avantages que je viens de citer - le charme de la difficulté vaincue.
Pour cette élite, pratiquer l'alpinisme, c'est s'opposer aux moyens terribles de défense de certaines cimes que sont les parois de rochers, les cheminées difficiles à escalader, les pentes intimidantes de glace, des moyens d'attaque puisés dans la sagacité, le sang froid, l'endurance et le courage personnel ».

La séduction des moyens

Le débat apparaît avec un projet de formation qui prendrait la forme de conférences, de publications et de démonstrations, pour aller vers une certaine émancipation des ascensionnistes. Une éducation technique et théorique est proposée, sur le modèle du Club Alpin Suisse, qui l'a adoptée dès 1901, pour lutter contre les accidents et ainsi rendre les alpinistes responsables, c'est-à-dire moins dépendant de leurs Guides.

Mais en 1912, le Club Alpin n'est pas encore prêt à promouvoir un enseignement alpin, car des objections sont présentées :

« On verra une tendance du club à favoriser les courses sans guides et celles-ci ont une mauvaise presse ».

D'autres avis sont diamétralement opposés :

« Le CAF ne remplit pas son devoir, poussant les gens aux ascensions, puis les abandonnant à eux-mêmes ».

Ce sont des réticences envers un alpinisme sportif et un alpinisme émancipé qui apparaissent dans certains avis :

« La jeunesse, d'aujourd'hui orientée vers le sport, oublie la noblesse du but pour la séduction des moyens. Le CAF ne doit pas favoriser cette tendance ».

Le Club Alpin est déjà une grosse machine que l'on ne peut pas bouger si facilement, au sein du Comité directeur il y aura de tout temps des réactions devant les initiatives novatrices, il y aura de tout temps des traditionalistes pour contester les évolutions.

La controverse concernant l'éducation alpine, l'alpinisme sportif et l'alpinisme autonome - sans guide - est l'une des plus emblématiques que l'association aura rencontrée.

Les différents courants

L'étude approfondie d'Olivier Hoibian : Les Alpinistes en France 1870-1950, aux Éditions l'Harmattan, montre bien les différents courants qui vont se croiser dans l'association durant les premières années du XXe siècle :

- les excursionnistes alpins à légitimité scientifique ou culturelle.
- les alpinistes prônant une activité modérée « sans prétention ».
- les alpinistes sportifs et élitistes, les « conceptions aventureuses ».

À ces orientations, il faut évidemment ajouter les nombreux skieurs, qui après la neige se tournent - ou pas - vers l'ascensionnisme ou vers l'excursionnisme.

Vers une démarche sportive

Un article de Jacques Wehrlin « À l'entraînement » évoque pour la première fois l'escalade des blocs de la forêt de Fontainebleau, dans la revue La Montagne de 1914.

C'était d'abord un but de préparation pour la montagne, car « l'hiver les muscles s'engourdissent, la résistance diminue, les mouvements perdent leur précision ».

Malgré les réserves appuyées des traditionnalistes, ce petit texte montre une profonde évolution, vers une démarche sportive et autonome, malheureusement interrompue par la catastrophe qui s'annonce.

Jacques Wehrlin

Jacques Wehrlin (1885-1916) était une personnalité notable du Club Alpin, animateur du Groupe des Rochassiers, et un précurseur souvent oublié dans les intentions qui conduiront à la création du Groupe de Haute Montagne et à la structuration - en France - d'un alpinisme sportif en devenir.

Il disparaîtra mortellement blessé durant la Grande Guerre en 1916.

« En franchissant un formidable barrage devant lequel le courage de beaucoup avait faibli ».

Il nous a laissé deux articles relatant ses dernières ascensions « Le Col des Cristaux et les Courtes » et « À l'Aiguille de Chardonnet » dans la revue La Montagne de 1914.

Elle allait prendre les meilleurs

Mais hélas, la plus grande catastrophe du vingtième siècle, la Grande Guerre de 1914-1918, allait arrêter, prendre ou handicaper parmi les plus valeureux jeunes montagnards de ces années-là… et pas seulement du côté des alliés vainqueurs.

1919 - La jeunesse que l'âge avait préservée

La jeunesse, celle qui a pu revenir sans séquelle de l'enfer, ou que l'âge avait préservée, va reprendre son engagement vers de nouvelles façons de faire en montagne. Ceci avec beaucoup plus de dynamisme que l'ensemble des populations épuisées par ces quatre années de conflit.

Le Club Alpin, dans son rôle historique de fédérateur des institutions de montagne, va être confronté aux évolutions suggérées par ses éléments les plus progressistes : les tenants d'un alpinisme sportif, d'un alpinisme sans guide et autonome, les adeptes d'une démarche « aventureuse et sportive ».
Confronté également aux orientations prônées par les partisans du ski de montagne et de compétition.

Un club qui doit composer avec ces avant-gardes, et avec toutes les réserves des tenants d'une pratique modérée et traditionnelle, aux prudentes ambitions d'action.
Des mises en garde, sur les dangers de la montagne, sont lancées vers la jeunesse, par des alpinistes notoires comme Jean Escarra et Maurice Paillon, encore sans un regard sur ce qui se révélera être essentiel : l'Enseignement alpin.
En ce qui concerne l'alpinisme, Maurice Paillon, rédacteur en chef de La Montagne, déclare :

« Nous faisons un appel à tous pour qu'on pratique un plus lent apprentissage, avec tous les principes d'une technique précise et avec des Guides ».

 

1919 - UN ALPINISME SPORTIF ORGANISÉ

En l'année 1919, naissance en France d'un alpinisme sportif organisé.
Au lendemain du conflit mondial, « issus d'un petit groupe de grimpeurs formé à la veille de la guerre qui en a retardé l'essor », Jacques de Lépiney et Paul Chevalier sont à l'origine de la fondation - au sein du Club Alpin - du « Groupe de Haute Montagne » (GHM) voulant réunir les alpinistes français ou étrangers qui accomplissaient des ascensions difficiles en haute montagne.

Il succédait au « Groupe des Rochassiers » créé vers 1908, peut-être 1906, par les anciens des Caravanes scolaires de la Section de Paris du Club Alpin.

<  Malheureusement le plus ancien animateur du Groupe des Rochassiers, Jacques Wehrlin était tombé mortellement blessé pendant la Grande Guerre en 1916.
<  Paul Job qui participa, avec Jacques de Lépiney et Paul Chevalier, à la préparation du projet, n'apparaît plus au moment de l'assemblée constitutive.
<  Organisé comme une simple entité à l'intérieur du Club Alpin Français, le GHM veut réunir les tenants d'un alpinisme d'excellence. 

 Les statuts du Groupe sont publiés dans La Montagne de 1919 : « Il est fondé, au sein du Club Alpin Français, un Groupe de Haute Montagne ayant pour but de réunir les alpinistes pratiquant régulièrement des courses en haute montagne, avec ou sans guide… de développer et perfectionner ce sport, et de centraliser les renseignements recueillis par ses membres sur les itinéraires et les horaires ».

CRÉATION DU GROUPE DE HAUTE MONTAGNE

L'assemblée constitutive du Groupe de Haute Montagne du Club Alpin Français a eu lieu le 22 décembre 1919.

Il y a 10 membres d'honneur, 29 membres actifs et 11 membres postulants.

<  Les membres d'honneur étaient : Édouard Sauvage président d'honneur, Georges Casella, Étienne Giraud, Jules Jacot-Guillarmod, Joseph Jaray, Henry de Lépiney, Louis Le Bondidier, Jean Maunoury, Henry Montagnier, Pierre Puiseux et Comte de Saint Saud.

<  Les membres actifs comprenaient : Mmes Valentine Bally-Leirens et Alice Damesme ; MM. Pierre Bosviel, Henry Brégeault, Paul Chevalier, R. Dallay, Maurice Damesme, F. Desmarais, André Duval, Jean Escarra, Marcel Galichon, Maurice Gripon, Grenville Hadley, Claude et Étienne Jérome-Lévy, Jean Landry, Pierre Le Bec, André Lejosne, Jacques et Tom de Lépiney, Gaston Liégeard, Pierre Logeais, J. Marion, Édouard Monod-Herzen, Robert et Victor Puiseux, Jean Repiton-Préneuf, Th.Thomas et Michel Vétillart.

<  Henry Bregeault, Paul Chevalier, Jacques de Lépiney, Robert et Victor Puiseux et Édouard Sauvage composent le premier Comité de direction du petit groupe.

Pour ne pas créer de difficultés statutaires avec l'instance dirigeante du Club Alpin, la présidence du GHM de Jacques de Lépiney n'est jamais écrite, ni dans les statuts, ni dans les écrits, elle restera de fait et reconnue seulement en 1929.

Pour intégrer le GHM, il faut être membre d'une Section du Club Alpin et présenter une liste exigeante d'ascensions.

Comme l'association mère, la nouvelle structure est ouverte aux alpinistes étrangers.

Dans les premières années, la relation de la petite organisation avec le Comité directeur du Club Alpin est patente. Henry Bregeault, Secrétaire général « l'âme du CAF », Victor Puiseux et Édouard Sauvage appartiennent au Comité directeur du Club Alpin, et également à celui du GHM.
Et en 1922, Jacques de Lépiney est nommé Secrétaire adjoint du Club Alpin, montrant pour le moins des liens de confiance.

Comme les autres membres du Club Alpin, ceux du GHM sont issus des milieux cultivés de la société, avec les différences sociales très marquées de l'époque. Il va exister un certain clivage sociologique, perceptible jusqu'aux années 1950, entre les résidents des villes voisines des montagnes et ceux de la capitale, contraints par l'éloignement, avec les nécessités de loisirs importants et les moyens financiers qui en résultent. Pour gommer ces barrières au sein du petit groupe, le qualificatif de « cher camarade » dans les échanges épistolaires était (et reste) le signe d'appartenance.

< En 1922, Albert Ier, roi des Belges, alpiniste notoire est membre d'honneur du groupe.

< En 1924, le Dr Th. Thomas (1861-1926) membre fondateur, sera désigné président d'honneur pour service rendu, alpiniste très actif, presque toujours accompagné de ses fidèles Guides, les Blanc de Bonneval-sur-Arc, il explora toute la chaîne des Alpes.

< En 1925, plusieurs alpinistes étrangers appartiennent au groupe, en qualité de membres actifs.

Les proclamations et les motivations des précurseurs

La réserve nécessaire du petit groupement vis-à-vis de l'association mère, le Club Alpin, pour son acceptation par le plus grand nombre, obligera à quelques prudences dans les objectifs énoncés dans ses statuts, concernant l'approche de la montagne et la façon de faire, puis jusqu'en 1929 dans ses déclarations à venir.

En 1925, Jacques de Lépiney exposera longuement - mezzo voce - les motivations qui animaient les responsables du GHM naissant, dans la préface du premier guide-itinéraires Vallot, consacré à la haute montagne - Les Aiguilles de Chamonix - de l'éditeur Fischbacher. 

Une proclamation faite sous sa seule signature, évitant d'entraîner vers des polémiques, avec la partie la plus traditionaliste du Club Alpin.

Elle peut apparaître comme un des fondements de l'association, situant l'état d'esprit de la jeune structure.

Elle servira à des intentions plus affirmées après 1929.

LA COLLECTE ET LA DIFFUSION DE L'INFORMATION

Dès sa création le GHM est porteur d'un alpinisme d'excellence, d'un alpinisme sportif organisé et revendiqué, mais la petite instance apporte également une réclamation, concernant la collecte et la diffusion de l'information, qui vient bousculer les habitudes.

Jusque-là, fidèle à sa doctrine d'une pratique modérée et d'un recours aux Guides, le Club Alpin n'a jamais œuvré pour la rédaction de guides-itinéraires de montagne, permettant de trouver sa voie, de devenir autonome, la recherche de l'itinéraire restait encore dans le domaine du confidentiel.

La revue La Montagne excellait dans des textes plutôt littéraires, avec surtout des descriptifs topographiques et l'obligatoire tour d'horizon.

Les seules documentations accessibles

Les éléments de documentation sont rares au XIXe siècle, en dehors des quelques descriptions figurant dans les bulletins des associations et des peu nombreux guides-itinéraires accessibles.

Il est évident que sans renseignement, pas d'émancipation possible ; les Guides conservaient précieusement leurs expériences, qui ne s'échangeaient qu'entre initiés. Il fallait donc développer l'information alpine.

Les guides-itinéraires, décrivant les montagnes, qui ont été publiée jusque-là, sont signalés dans le dossier du CFD : Les guides-itinéraires pour la montagne.

Notamment :

-  Le Guide du Haut Dauphiné, par W.A.B. Coolidge, Henry Duhamel et Félix Perrin. Libraire-éditeur Alexandre Gratier à Grenoble en 1887 et 1890.
-  Le Guide-itinéraires de la chaîne du Mont-Blanc, par le Suisse Louis Kurz (1854-1942), publié en 1892, augmenté en 1914 aux Éditions Payot.
-  Le Mont-Blanc Führer, de 1913 en langue allemande, par Reuschel, Martin et Weitzenhöck, édité par l'Œsterreiichischer Alpenklub en 1913, traduit en français par des membres du GHM, en 1922.
- Des guides-itinéraires pour l'alpiniste commenceront à être proposés par Émile Gaillard, en 1912 aux Éditions Dardel, un travail de compilation, sans textes de première main, ni de sources authentiques, avec des erreurs que plus tard une lettre de Paul Gayet Tancrède dit Samivel dénoncera avec véhémence. 

Mais malgré les insuffisances, ces ouvrages ouvraient déjà la voie à une information alpine indispensable à ceux qui recherchaient l'autonomie.

Des sources les plus authentiques possibles

  • Cette collecte et la diffusion de renseignements, sur les itinéraires de montagne, d'après les sources les plus authentiques possibles - une première façon de passer du vague au défini - seront les bases des futurs guides-itinéraires modernes des montagnes de France qui seront proposés un peu plus tard par le GHM.

En 1921, une monographie des Aiguilles Rouges de Chamonix est publiée dans La Montagne, par Henry Vallot pour la description topographique, et Jacques de Lépiney pour les itinéraires d'escalade, c'est un travail précurseur de l'Œuvre écrit du GHM  (voir la revue du GHM : Cimes 2007).

Le premier guide-itinéraires, détaillant les voies d'école d'escalade, est édité en Grande-Bretagne en 1923, il est signalé dans la revue du Club Alpin avec ce commentaire « quand aurons-nous en France de petits guides pareils ? ».

1923 - La recherche d'une évaluation des difficultés

Des réclamations et des demandes, pour obtenir des descriptions et des évaluations précises des ascensions, figurent dans la revue La Montagne : « cela rendrait de grands services particulièrement aux sans guides ».

Dans les relations des itinéraires qui commencent à être publiées, il apparaissait un embarras certain pour situer la difficulté d'un itinéraire ou d'un passage d'escalade.

Les évaluations se font par des formules diverses et variées : difficulté suprême, supérieure, extrême, considérable, importante, appréciable, fatigante, sérieuse, insignifiante, etc. totalement approximatives et ambigües.

Les premiers guides Vallot-Fischbacher de 1925 à 1937 auront recours à ces formulations qui ne pourront que provoquer perplexités et embarras.

La description des itinéraires et l'évaluation des difficultés seront les deux éléments principaux qui permettront l'essor de l'alpinisme sportif et autonome.

Et déjà des suggestions sont faites, pour améliorer la proposition avec une échelle de difficultés, destinée à obtenir une estimation globale des ascensions, soutenue par une comparaison avec des itinéraires connus de référence. 

Le Groupe de Haute Montagne va largement œuvrer à développer l'information alpine et va chercher à aller vers une clarification.

L'excellence alpine en moins de dix ans

Le GHM organise des réunions mensuelles présentant des récits de course, des descriptions d'itinéraires, des sujets de technique alpine et des études de monographies.

Rapidement les entreprises alpines des Lépiney, Chevalier et autres, renforcées un peu plus tard par celles des Jacques Lagarde, Henry de Ségogne et autres, vont conduire en peu de temps nos gens du GHM au même niveau de performances que nos voisins austro-allemands, britanniques, italiens et suisses… Lire l'article : Les débuts de l'alpinisme sans guide français, par Lucien Devies, dans Alpinisme de juin 1941. 

< Le 7 août 1924 Jacques Lagarde, Tom de Lépiney et Henry de Ségogne réussissent la seconde ascension de l'Aiguille Verte par le versant Argentière.
< Les 10 et 11 août 1924, Jacques Lagarde, Jacques de Lépiney et Henry de Ségogne inaugurent un itinéraire difficile dans la face nord de l'Aiguille du Plan. Ce furent là, les deux premiers grands succès de l'alpinisme autonome français.
< En 1925, Pierre Dalloz, Jacques Lagarde et Henry de Ségogne gagnent l'Aiguille Verte par l'arête des Grands Montets.
< En 1926, Jacques Lagarde et Henry de Ségogne remontent le couloir du versant nord, conduisant à la brèche du Caïman et au Col supérieur du Plan, c'est un exploit contraint par les événements, effectué sans moyens d'assurage, sans possibilités de retraite, et qui ne sera repris qu'en 1972, avec les moyens modernes de l'escalade glaciaire… Il prendra le nom de couloir Lagarde-Ségogne.
Lagarde avait dû montrer tout son grand talent pour forcer le passage clé.
< En 1926, Roubène Toumayeff et Jean Vernet réalisent un itinéraire d'envergure, sans l'aide de pitons, dans le versant sud de la Barre des Écrins…
< En 1928, Armand Charlet et Camille Devouassoux inaugurent un itinéraire dans le versant Nant Blanc de l'Aiguille Verte.

Il faut maintenant compter avec les alpinistes français qui, en moins de dix ans, avaient réussi à s'affirmer parmi les plus actifs de ces années-là.

L'orientation « aventureuse et sportive » prônée et l'activisme du GHM occasionneront des débats animés dans l'instance fédérative qu'est le Club Alpin, de cette époque.

1923 - Une première escarmouche

La notoriété acquise par le Groupe de Haute Montagne, et l'attitude très élitiste de certains de ses membres, provoquent une réaction de délégués de l'Assemblée générale du Club Alpin de 1923 qui s'inquiètent de « l'existence au sein du Club d'un groupement autonome préjudiciable pour l'unité de l'association ». 

Le petit groupe avait imprudemment choisi de modifier l'insigne du CAF, en ajoutant sa particularité Groupe de Haute Montagne, signe de reconnaissance pour les uns, manifestation d'une « différenciation hautaine malvenue » pour d'autres.

Après une longue discussion et l'intervention de plusieurs délégués, le président Regaud « après avoir exprimé au GHM la gratitude que lui doit le CAF, qui bénéficie de l'activité des plus entraînés et des plus audacieux de ses membres » demande au GHM de ne pas modifier, même par une surcharge, l'insigne du Club Alpin et de chercher « un insigne spécial s'il croit utile d'en avoir un ».

Il y a un petit milieu principalement parisien très entreprenant et talentueux d'un côté, de l'autre des Sections de province éloignées du lieu de pouvoir et souvent agacées par cet activisme parisien, avec dans l'entre-deux un Comité directeur du Club Alpin bien embarrassé.

Un insigne particulier

Un insigne particulier sera dessiné par Monod Herzen, adopté après 1923, permettant aux sociétaires de se reconnaître. Bientôt, il sera appelé la « cuillère à café » pour la ressemblance.

Un insigne de taille plus modeste sera proposé en 1961 par Guido Magnone.

L'information alpine

Partant de sources authentiques, la recherche et la diffusion des renseignements sur les itinéraires de montagne, seront les éléments indispensables au développement d'une pratique émancipée de l'alpinisme. Des collectes et des informations que le Groupe de Haute Montagne cherchera à développer.

Une « chronique alpine » publiée dans les périodiques est le premier maillon d'une chaîne d'indications, signalant succinctement une ascension, un itinéraire.

Viendra ensuite la « description précise » des itinéraires, avec le compte rendu des auteurs et l'avis éventuel des répétiteurs, pour aboutir au « guide-itinéraires » exhaustif, réunissant les différentes connaissances consacrées à un massif ou à une chaîne de montagnes.

Ces manuels complets - accessibles à tous - seront les éléments de base de l'information alpine.

1924 - Une échelle des difficultés de l'escalade rocheuse

En 1924, dans les Alpes orientales, Willo Welzenbach propose une évaluation des difficultés d'un passage d'escalade rocheuse par une échelle en six degrés, s'inspirant des notations pédagogiques germaniques en cinq degrés, avec un sixième degré représentant la limite des possibilités humaines.

C'est cette graduation, basée sur la comparaison avec des passages d'escalade rocheuse de référence, qui sera désormais utilisée pour évaluer les difficultés d'un obstacle rocheux à franchir dans les Alpes orientales.

Les articles de Dominico Rudatis, dans la revue Alpinismo (1929) et dans l'Annuaire du Club Alpin Académique Italien (1927-1931), viendront soutenir cette proposition.

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1925 - LES PREMIERS GUIDES VALLOT

Dans les années 1920, Charles Vallot (1884-1953), Joseph Vallot (1854-1925) et Jacques de Lépiney (1896-1941) entreprennent la rédaction d'un ambitieux ouvrage de connaissance générale, portant sur le versant français du massif du Mont-Blanc, chez l'éditeur Fischbacher.

Une description précise, fidèle et complète de ces montagnes « dans quelque ordre d'idées que ce soit géographique, humain, historique, littéraire ».

L'œuvre comprend une Description générale savante du massif du Mont-Blanc, rédigée par des auteurs qualifiés, et éditée en 1925, une Description de la moyenne montagne, par Charles Vallot, et une Description de la haute montagne, à l'usage des alpinistes, par des membres du GHM (voir le dossier du CFD : Les guides-itinéraires pour la montagne, et aussi dans la publication du GHM Cimes 2007 : Les guides Vallot publiés par l'éditeur Fischbacher de 1924 à 1946).

Des guides-itinéraires Vallot pour la haute montagne

La « Description de la haute montagne » s'adressait principalement aux alpinistes.

Ces guides-itinéraires Vallot seront le travail collectif du GHM et ne resteront pas confinés à la partie française, mais s'étendront au-delà de la frontière, en couvrant également les versants italien et suisse du massif.

L'ambition était de rédiger un recueil, d'après les sources les plus authentiques possibles, réunissant l'ensemble des itinéraires de haute montagne.

Un travail majeur, tous les auteurs comptent parmi les meilleurs et les plus actifs alpinistes français de ces années vingt et trente, et c'est une des fiertés du GHM d'avoir pu mener à bien cet éminent travail de 1925 à 1946.

Au final, sept petits guides verront le jour... Chaque itinéraire est présenté avec son historique, mais ce qui fait la grande originalité de ces ouvrages sera la publication des notes provenant de l'expérience directe des auteurs, ou de textes de première main établis par des camarades du GHM (voir le dossier du CFD : Les guides-itinéraires pour la montagne).

Dans la préface du premier fascicule de 1925, consacré aux Aiguilles de Chamonix, Jacques de Lépiney expose longuement les motivations qui animaient les responsables du GHM naissant.

Les cours de technique alpine

En 1925, le Groupe de Haute Montagne se voit confier par Club Alpin le soin d'organiser des cours de technique alpine. Ceux-ci font l'objet de deux séries de cinq conférences portant sur la technique du rocher et de la corde, les grandes courses, la technique de la glace et le bivouac, l'alimentation et l'alpinisme hivernal.

Les femmes bien présentes

  • On sait que dès 1914, Alice Damesme a été la première à réaliser ses ascensions en autonomie et bientôt en tête de cordée.

À la création du Groupe de Haute Montagne en 1919, elle est naturellement, avec Valentine Bally-Leirens, parmi les personnalités fondatrices.

En septembre 1919, après la première ascension du Trident du Tacul, Jacques de Lépiney écrira ne rien avoir fait de plus dur.

Alice Damesme qui participait à l'exploit est qualifiée « de rochassière remarquablement adroite, intrépide et endurante », à une époque où les éloges étaient rares dans les relations écrites des ascensions.

La voie nouvelle, réalisée sans l'usage des pitons, sera jugée comme étant la plus difficile de cette époque (5 sup. plus tard 5c), par André Contamine en 1972.

Dès les années mil neuf cent vingt, les femmes veulent aussi être autonomes et responsables.

« D'abord en se montrant aussi habiles que les hommes dans l'art de suivre un Guide » ironise Micheline Morin, ensuite en conduisant leur cordée.

Miriam O'Brien-Underhill sera celle qui œuvra le plus pour un ascensionnisme résolument féminin. Et aussi en allant devant, suivie par son Porteur et son Guide.

Dans les années vingt et trente, Miriam O'Brien-Underhill, Micheline Morin et Néa Morin - toutes affiliées au GHM - seront les compagnes d'ascension de la talentueuse Alice Damesme. Et elles aussi vont souvent devant en formant des cordées de femmes ou mixtes (voir le dossier du CFD : L'alpinisme au féminin).

En 1927, le groupe compte 412 membres avec 259 actifs ou postulants. On dénombre 33 femmes actives ou postulantes.

Les groupes marginaux

Avec la notoriété du GHM, d'autres groupes alpins apparaissent dès 1925 : Les Campeurs alpinistes, le Groupe de Bleau et le Club Académique Français d'Alpinisme. Ils auront tous des vies extrêmement courtes.

1926 - L'Annuaire du GHM

En 1926, le GHM décide de créer un Annuaire qui doit constituer « un répertoire des informations relatives tant à l'activité du groupe qu'à l'activité de ses membres, et plus généralement encore de tous les renseignements concernant l'alpinisme ». 

En réunissant les descriptions des itinéraires nouveaux, ce recueil venait judicieusement compléter les informations de chronique alpine parues dans La Montagne, mais se limitait à des notes techniques, pour ne pas empiéter sur les récits d'ascension réservés à la revue mère. Il sera édité de 1926 à 1935.

1926 - UNE ÉDITION DE QUALITÉ ALPINISME

En 1926, un titre - consacré exclusivement à l'alpinisme - se présente. Cette publication Alpinisme est éditée par le Club Académique Français d'Alpinisme, c'est un petit club ouvert seulement aux adeptes d'un alpinisme autonome, au sein duquel les membres du GHM sont majoritaires.

Ceux-ci ne tarderont pas à investir le Comité de rédaction d'Alpinisme, qui de revue du CAFA devient dès octobre 1927 une revue de Haute Montagne, avec Henry de Ségogne - le Secrétaire général du GHM - comme rédacteur en chef. Et le 1er octobre 1927, pour être membre du CAFA, il faudra appartenir au GHM, compromettant ainsi l'avenir de l'éphémère association.

L'édition deviendra rapidement la revue du GHM et sa propriété en 1933.

L'Annuaire du Groupe de Haute Montagne, rendant compte des actes officiels de l'association, et informant sur les itinéraires nouveaux ou d'intérêt, diffusé aux membres de l'association, sera attaché à la revue Alpinisme dès le n°6 de 1932 pour les abonnés. Il continuera à paraître jusqu'au n° 9 de 1935. Il disparaîtra ensuite, après la modification des statuts de l'association, liant l'abonnement à la cotisation. Les informations concernant l'association et les itinéraires nouveaux ou remarquables s'intégrant directement dans le périodique.
En 1929, l'entreprenant Ségogne partage avec Lagarde, le meilleur alpiniste de cette époque, la direction de la publication, où apparaît un secrétaire de rédaction aussi jeune qu'informé, Lucien Devies.

Avec Alpinisme, le petit cercle va tenir un formidable outil d'information et de communication (voir Cime 2007, l'édition du GHM : L'œuvre écrit du GHM).
Un grand club - le Club Alpin Français - voit son titre historique La Montagne sérieusement concurrencé par l'activisme et le dynamisme d'une de ses filiales, le Groupe de Haute Montagne du Club Alpin Français, qui publie sa propre expression Alpinisme
C'est un périodique réservé exclusivement à l'alpinisme, il sera le porte-parole des alpinistes et du GHM, il n'est accessible que sur abonnement pour une diffusion de moins de 1000 exemplaires.

Et sans précaution, Henry de Ségogne appelle à réserver les récits de courses à ce nouveau support.

C'est une concurrence directe avec la revue officielle du Club Alpin.

1928 - Pour une collaboration active et loyale

Un conflit d'édition va vite se faire sentir entre les deux titres. 

De nombreux récits de courses sont confiés à Alpinisme, ce qui provoque un sérieux avertissement du rédacteur en chef de La Montagne qui exige « de tous les membres du Club Alpin, une collaboration active et loyale […].

On a créé, avec les meilleures intentions initiales, nous n'en doutons pas, une Revue adventice, qui par une politique ardente, depuis quelques mois, voudrait tarir la source qui alimente "La Montagne" en articles originaux ou en renseignements techniques ».

 

1930 - L'AUTONOMIE DU GHM

De 1919 à 1929, Jacques de Lépiney était le président - de fait - du Groupe de Haute Montagne.

Vivant éloigné au Maroc, il avait été remplacé au Comité directeur dès 1926, mais restait, pour tous, le père fondateur.

En 1929, le GHM modifie ses statuts, où est spécifiée l'élection d'un président, enregistre la démission, non écrite jusque-là, de Jacques de Lépiney de la fonction, et procède à la nomination d'Henry de Ségogne.

C'est le prélude de ce qui va suivre, et un vrai pied-de-nez au grand club.

Rappelons que depuis sa création en 1919, le GHM n'était qu'une simple entité, dans la structure fédérative qu'était de Club Alpin. Un GHM qui, pour ne pas créer de difficultés statutaires avec l'instance dirigeante du Club Alpin, ne faisait pas figurer la désignation d'une présidence dans ses statuts. Celle de Jacques de Lépiney, de 1919 à 1929, n'est jamais écrite, ni dans les statuts, ni dans les écrits, elle restera de fait et reconnue seulement en 1929.

Un périmètre étroit

Et pour comprendre la proximité des protagonistes, et le périmètre étroit et parisien dans lequel se déroulent ces grandes manœuvres, orchestrées par Henry de Ségogne, il faut signaler que ce dernier est élu membre du Comité de Direction du Club Alpin pour l'année 1929, et Jacques Lagarde pour l'année 1930.

Précisons enfin que plusieurs membres du Comité directeur du Club Alpin sont également membres du GHM.

Et en 1933, Ségogne sera élu président de la Section de Paris du Club Alpin, la plus nombreuse en nombre d'adhérents.

Mais les réticences principales viennent des Sections de province… où les initiatives, le parisianisme et le dynamisme du GHM continuent d'agacer fortement.

Les réactions du Club Alpin

Avec l'élection d'un président du GHM et la concurrence directe apparue en matière d'édition, les réactions sont vives du côté du Club Alpin. Un projet de résolution tendant à supprimer le groupe est présenté à l'instance dirigeante… et précipite les choses.

Le conflit, entre les tenants d'une excellence en matière d'alpinisme sportif et les défenseurs d'un ordre traditionnel et pluridisciplinaire, se révèle sans issue. Et le GHM, demandeur d'une plus grande autonomie, se sépare du Club Alpin Français qui - en dehors du ski de compétition - fédérait toutes les activités montagnardes du moment.

UNE ÉLITE PEU NOMBREUSE

C'est Henry de Ségogne, le leader de l'alpinisme français et président du GHM qui mène l'action.

Sa requête du 16 octobre 1930 est signée par les trente-et-un membres parmi les plus actifs et les membres fondateurs.

« Nous constituons, ou du moins, nous visons à constituer une élite peu nombreuse d'alpinistes sélectionnés ; alors que le Club Alpin cherche à recruter dans le grand public ».
« Nous entendons nous occuper exclusivement de haute montagne, alors qu'elle ne peut être qu'une très petite portion du champ d'activité du Club Alpin ».

Et le 4 novembre 1930, une Assemblée générale du GHM approuve la création et les statuts de la nouvelle structure indépendante.

Les mésententes entre certains dirigeants des deux entités semblent un moment sans solution, pourtant…

Des incompréhensions passagères

Des incompréhensions finalement très passagères, car deux mois plus tard, dès le 6 janvier 1931, une réunion des représentants des directions du Club Alpin et du GHM aboutit à la signature d'un protocole :

- le Club Alpin reconnaît la constitution du GHM comme entité indépendante.
- le GHM s'engage à participer activement à la rédaction de La Montagne.
- les deux associations collaboreront étroitement pour l'édition d'un Manuel d'alpinisme.

On notera que, Jean Escarra est membre du GHM depuis 1928 et sera président du Club Alpin de 1931 à 1934.

1933 - Une petite expédition au Caucase

En 1933, une petite expédition de quatre, à l'initiative du GHM et de la Section de Paris du Club Alpin, se rend dans les montagnes du Caucase. Elle connaîtra des fortunes diverses et une météo incertaine, elle pourra toutefois gravir quelques sommets secondaires, et sera la première expédition française vers les montagnes lointaines.

1934 - Le Manuel d'alpinisme du Club Alpin

En 1934, le Club Alpin Français publie, avec la collaboration du Groupe de Haute Montagne, un « Manuel d'alpinisme ».

Deux tomes constituent l'ouvrage. Une section scientifique rédigée par des auteurs les plus avertis et une partie technique écrite par des membres du GHM.

Sont décrits les pitons, les mousquetons maintenant d'usage courant, les différentes techniques de rappel et les crampons avec pointes avant.

<  Concernant la technique de la descente à l'aide de la corde, le rappel en S est mis en avant, il apporte une bonne sécurité dans son utilisation et sera d'utilisation générale jusqu'aux années mil neuf cent soixante-dix. Le rappel en S, développé par Hans Dülfer avant 1914, la « dülfersitz », venait remplacer la « kletterschluss » et les autres méthodes très dangereuses dans leurs utilisations.

<  Les crampons, avec deux pointes avant, y sont proposés sans beaucoup enthousiasme. Ils vont pourtant bouleverser la technique de l'escalade glaciaire… Sauf en France comme nous l'avons indiqué dans nos différents dossiers (voir le dossier du CFD : Le matériel de l'alpiniste).

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Le Gasherbrum 1 ou Hidden peak et ses 8068 mètres

 

 

VERS LES PLUS HAUTS SOMMETS DU MONDE

L'intérêt des alpinistes français pour les plus hautes montagnes du monde a été très tardif.

« Ils ont été étrangement absents des grandes explorations et ascensions du premier tiers du siècle » il fallait « qu'ils s'organisent pour combler un retard de vingt ans ».

L'idée d'organiser une expédition, vers les montagnes de l'Himalaya, est venue dans les années 1930 de la petite équipe qui animait le Groupe de Haute Montagne.

La première initiative date de l'été 1933, elle est conduite par Jean Escarra, président du Club Alpin et par Henry de Ségogne, président du Groupe de Haute Montagne, membre du Comité directeur du Club Alpin et leader de l'alpinisme français de l'époque.

Tentative vers l'Hidden Peak 8068m

Il est convenu que le projet d'expédition se construise au sein d'une structure indépendante du type loi de 1901, juridiquement déclarée le 16 mai 1935, patronnée par le Club Alpin et par le GHM, sur le modèle du « Comité de l'Everest » de 1919 des Britanniques, et qui prendra le nom de « Comité français de l'Himalaya ».

Voir le dossier du CFD : Un historique des expéditions lointaines françaises institutionnelles, avec les différents paragraphes :

<  D'abord un jeu diplomatique.
<  Une doctrine.
<  Un cadre juridique et un premier objectif.

Finalement, c'est l'Hidden Peak 8068m - aujourd'hui Gasherbrum 1 - qui sera choisi, situé dans les montagnes du Karakoram et le massif du Baltoro Mustagh.

En 1936, c'est la première expédition française vers l'Himalaya et le Karakoram.

Conduite par Henry de Ségogne, elle n'aboutira pas, l'Hidden Peak sera tenté jusque vers 7000m.

1935 - Une double échelle des difficultés de l'escalade rocheuse

En 1935, Lucien Devies propose un double système de cotation de l'ensemble des difficultés d'un itinéraire rocheux, basé sur des comparaisons avec des ascensions de référence et applicable dans nos Alpes occidentales.

Une première échelle informe sur des différents obstacles à gravir en six degrés d'un itinéraire, elle est directement inspirée du système Welzenbach, c'est l'évaluation d'un passage d'escalade.

Une seconde échelle apprécie l'ensemble d'une ascension allant du « facile » à « l'extrêmement difficile » en six degrés également, c'est l'estimation globale d'un itinéraire (voir le dossier du CFD : Un historique de l'alpinisme 1919-1939).

Une façon de passer du vague au défini.

Aussitôt une belle polémique, animée par Etienne Bruhl, va enflammer le milieu alpin pendant quelque temps (lire les articles de La Montagne 1935 et 1936).

Une influence déterminante

  • Lucien Devies, par des échanges épistolaires réguliers et rigoureux, chercha à stabiliser le système d'évaluation des difficultés de l'escalade, de 1935 et jusqu'en 1978. Son influence, comme corédacteur des principaux guides-itinéraires de montagnes de France, a été déterminante pour installer le système d'évaluation des difficultés de l'escalade rocheuse.

Il réussira à affermir le système en établissant une série d'escalades de référence acceptées par différents sachants - guides et élite.

Un peu plus tard, une évaluation de la difficulté de l'escalade artificielle en quatre degrés (A1 à A4) est proposée... Le tri commence à être fait entre escalade libre, mixte et artificielle.

1935 - La modification des statuts

Le Groupe de Haute Montagne modifie ses statuts, intégrant l'abonnement de son titre dans la cotisation et précisant les conditions très sélectives d'admission à l'association.

1935 - La disparition de l'Annuaire du GHM

L'Annuaire du Groupe de Haute Montagne, rendant compte des actes officiels de l'association et informant sur les itinéraires nouveaux ou remarquables, diffusé aux membres de l'association, a continué à paraître jusqu'au n° 9, attaché à Alpinisme pour les abonnés. Il disparaîtra en 1935 après la modification des statuts de l'association, intégrant l'abonnement dans la cotisation.

Louise Boulaz dite Loulou Boulaz

Elle sera la seule femme, de ce moment là, à se joindre aux furieuses confrontations touchant les dernières grandes parois des Alpes encore à gravir.

Les entreprises que Louise Boulaz a conduites ou partagées font indiscutablement d'elle la principale actrice d'un grand alpinisme féminin des années 1930 à 50 (voir le dossier du CFD : L'alpinisme au féminin ).

Une césure

En 1937, renouvellement de la présidence du Club Alpin, le discret Léon Olivier est préféré à l'omniprésent Henry de Ségogne, vice-président du Club Alpin, ancien président de la Section de Paris, la plus importante en nombre d'adhérents ; l'un des meilleurs alpinistes des années 30, chef de l'expédition française en Himalaya et président du GHM.

Un personnage brillant, « parisien » et influant qui a probablement inquiété la province. 

La césure, entre les tenants d'une excellence en matière d'alpinisme sportif et les défenseurs d'un ordre traditionnel et pluridisciplinaire, se rouvre pour des questions de personnes.

1939 - Une histoire de l'Alpinisme

En 1939, Lucien Devies fait paraître dans la revue Alpinisme l'article : « Alpinisme et nationalité » et dans La Montagne le texte : « Eiger et Walker ».

L'analyse du rédacteur est particulièrement éclairée à un moment de grande tension avec les pays alpins de l'Axe :

« Il convient de marquer la place qui revient aux deux grandes victoires allemande et italienne de cette année, et d'en montrer la portée exacte et la signification. Elles viennent, à mon sens, marquer le plein développement de la période de l'histoire alpine commencée en 1930 par la victoire technique de l'arête sud de l'Aiguille Noire de Peuterey, et en 1931 par la victoire psychologique de la face nord du Cervin. Ces deux succès avaient marqué un sérieux pas en avant dans les Alpes Occidentales ».

Lucien Devies ne voyait « aucune différence sérieuse entre les Schmid (en 1930) et Heckmair (en 1938). La distinction faite par certains commentateurs n'existait que dans l'annonce après coup ; parce qu'entre les deux courses les nazis avaient pris le pouvoir ».

Il sera un des rares commentateurs (et acteur) à situer correctement ces prouesses, certes exploitées par les propagandes nazies et fascistes, mais qui demandaient à être convenablement interprétées. Des contributions à l'histoire de l'alpinisme.

Certains - plus tard - tenteront d'en détourner les propos à des fins d'édition.

Les années de guerre et d'occupation

Lire les notes consacrées dans le dossier du CFD : Le Club Alpin Français de 1941 à 1974 :

- Les années de guerre et d'occupation
- 1942 - Les tentatives de dislocation du Club Alpin
- 1942 - La Fédération Française de la Montagne
- Pendant les années d'occupation
- 1945 - Le retour de la paix

1943 - La graduation-type des difficultés d'escalade rocheuse

En 1943, le GHM réunit une commission comprenant les compétences du moment : Allain, Charlet, Devies, Frendo, Jonquière, Laloue, pour définir des exemples de graduation-type de passages d'escalade rocheuse, et des exemples d'évaluation globale d'une ascension.

Une mise au point, publiée par Lucien Devies, accompagne les travaux de l'instance.

Le fameux VI sup des Dolomites, qui indiquait : soit une escalade libre difficile, soit une escalade mixte et artificielle technique, soit encore un passage exposé et peu sécurisé, a vécu

LA COHÉSION DU MONDE DE LA MONTAGNE

Pendant les années d'occupation, trois dirigeants Lucien Devies, Yves Letort et Louis Neltner ont su préserver les intérêts des organisations de montagne. C'est à eux qu'il reviendra d'envisager l'avenir des institutions, et de permettre la cohésion du monde de la montagne, une communauté constituée principalement par trois entités :

<  Le Groupe de Haute Montagne qui représente l'excellence en matière d'alpinisme.
<  Le Club Alpin « qui rassemblait tous ceux qui aimaient la montagne, aussi bien pour ses paysages, son ambiance, ses fleurs ou ses minéraux, que ceux qui la gravissaient, qu'elle fût moyenne ou haute, facile ou difficile ».
<  La Fédération Française de la Montagne, qui est désormais la structure incontournable, pour les autorités de tutelle.

Et pendant vingt ans, les deux organisations Club Alpin et Fédération de la Montagne coexisteront, partageant locaux, personnels et dirigeants.

Le Groupe de Haute montagne déclare également son siège social dans les locaux communs de la rue La Béotie à Paris.

La polémique de l'Eiger

En 1946, le débat porte sur ce qui a fait réussir les germano-autrichiens en 1938.

Des collègues suisses avaient imprudemment avancé que l'ascension de la face nord de l'Eiger n'était pas de l'alpinisme, pour réussir une escalade aussi folle, il fallait des "surhommes" nazis, c'est-à-dire que sans Hitler la cordée de 1938 ne se serait pas attaquée à cette entreprise. Par contre l'ascension des frères Schmid de la face nord du Cervin se situant avant l'arrivée au pouvoir d'Hitler ne se voyait pas, en suivant cette thèse, également disqualifiée.

Pour Lucien Devies, qui avait été un des acteurs de l'exploration des dernières grandes faces nord des Alpes, l'ascension de la face nord de l'Eiger était de l'alpinisme, l'hitlérisme n'était pas la raison de l'assaut et du succès de 1938, mais la témérité traditionnelle des alpinistes allemands, la même que celle d'un Guido Lammer ou des frères Schmid.

Lucien Devies insiste :

« Il faut remarquer qu'Heckmair et les Schmid sont de la même génération. Et j'ai suffisamment rencontré de Munichois en montagne pour n'avoir aucune illusion à leur sujet : ils étaient presque tous, sinon tous, nazis. Aucune différence sérieuse entre les Schmid et Heckmair. Pas de césure entre la face Nord du Cervin et la face Nord de l'Eiger quant à la conception et la réalisation. La différence n'existe que dans la présentation après coup ; parce qu'entre les deux courses les nazis avaient pris le pouvoir. Aussi, la "propagande" a-t-elle pu exploiter l'Eiger à sa manière, bien sûr affreuse. C'est là que gît la différence, mais pas entre les protagonistes ».

Et quand en 1947 une cordée suisse reprend l'itinéraire décrié, Lucien Devies demande aux Suisses leur opinion sur cette nouvelle performance :

« Voit-on dans cette réussite un beau succès, un grand exploit, ou une course horrible et condamnable comme celle de 1938 ? ».

Les Suisses par l'intermédiaire du bulletin du CAS vont laisser entendre perfidement que Lucien Devies approuvait la conception alpine des nazis.

Sa lettre du 10 mars 1948, au rédacteur en chef de la revue Les Alpes, demandant un droit de réponse, apporte une mise au point cinglante (avec le soulignement de l'auteur) :  

« Je ne puis accepter, comme vous l'avez fait entendre, que j'approuve l'esprit d'orgueil nationaliste, de supériorité raciale, de compétition mesquine et inhumaine qu'en somme j'ai de la sympathie pour ce qu'était le nazisme, alors que tout cela me fait naturellement horreur. Je réprouve au moins autant que vous les horreurs nationalistes visées plus haut.
Non aucun de mes écrits n'autorise de pareilles conclusions, et me prêter des sentiments semblables c'est vraiment déformer ma pensée et le mot déformer est bien faible ».

1946 - Les guides-itinéraires du massif des Écrins

Dès 1931, le projet d'élaborer un guide-itinéraires du massif des Écrins est à l'esprit du comité du GHM, la première description de ces montagnes datait de 1887, avec seulement une remise à jour en langue allemande en 1913. Ce n'est qu'en 1941, que le travail effectif sera entrepris, par la paire Lucien Devies-Maurice Laloue. En 1946, les premiers guides-itinéraires, décrivant le massif des Écrins en deux tomes, sont publiés par l'éditeur Arthaud, le travail se poursuivra de 1946 à 1978, avec le patronage du GHM. 

Une œuvre exceptionnelle et majeure, les Devies et Laloue, étant rejoints plus tard, en 1969, par François Labande (voir le dossier du CFD : Les guides-itinéraires pour la montagne).

1947 - Les guides-itinéraires Vallot du massif du Mont-Blanc

Dans les années 1940, Lucien Devies forme le projet d'un guide-itinéraires pour le massif du Mont-Blanc, consacré exclusivement aux ascensions et à l'alpinisme « sur la base d'une rédaction entièrement neuve et indépendante », venant remplacer les guides-itinéraires de l'éditeur Fischbacher de 1925. L'équipe de rédaction se limitera à la seule paire Lucien Devies-Pierre Henry (1900-1985), une collaboration qui va durer plus de trente années.

En 1947, les premiers guides-itinéraires, décrivant le massif du Mont-Blanc en quatre tomes, sont publiés par l'éditeur Arthaud, le travail se poursuivra de 1947 à 1979, avec le patronage du GHM pour les premières éditions.
Le titre Guide Vallot étant conservé par fidélité et hommage aux prédécesseurs.

Les deux hommes vont entreprendre et réussir une œuvre exceptionnelle, extraordinaire et incomparable de méthode, de précision et d'intérêt pour la connaissance des montagnes du massif du Mont Blanc. Une tâche immense qu'ils pourront, durant trente années, plusieurs fois améliorer et compléter, pour arriver à la somme de connaissances acquises dans les dernières éditions.

En 1979, Gino Buscaini saura se fondre dans l'œuvre des deux amis pour la rédaction d'un dernier tome.

Ces document constituent une somme incontournable pour la connaissance du massif (voir plus précisément le dossier du CFD : Les guides-itinéraires pour la montagne).

1948 - Le même homme, président du GHM, du CAF et de la FFM

La guerre 1939-1945 rendra futiles les discordes antérieures…

Un rapprochement s'amorcera durant les années d'occupation pour voir, au sortir de la guerre, le même homme Lucien Devies être élu en 1948 à la fois président du Groupe de Haute Montagne, président du Club Alpin et de la Fédération Française Montagne, créée en 1942. (voir le dossier du CFD : Le Club Alpin Français de 1940 à 1974).

Et jusqu'en 1970, le destin des trois entités restera commun.

Le titre Alpinisme

Lucien Devies est le directeur d'Alpinisme, il a - note le comité du GHM - « réussi pendant de nombreuses années [dès 1936] à faire sortir quasiment seul les quatre numéros annuels d'Alpinisme », il est aussi membre (très) influent du Comité de rédaction de La Montagne.

Durant les « légendaires années trente », marquées par l'activité exceptionnelle des alpinistes et jusqu'en 1954, le titre Alpinisme sera le porte-parole des alpinistes et du Groupe de Haute Montagne, avec également un rayonnement unique dans le monde de l'alpinisme international ; au côté de La Montagne, la revue généraliste et pluridisciplinaire du Club Alpin.

Les années de guerre seront difficiles, mais le lien demeurera. Les deux publications continueront à paraître malgré des paginations modestes et des articles de circonstance.

La Montagne a continué de paraître dans les années sombres, sous une forme famélique de 1940 à fin 1943, les Saxifrages vont occuper trois numéros de l'édition.
Elle n'est plus autorisée en 1944, renaîtra à la Libération, et retrouvera sa liberté. C'est la fin des parutions comportant le cachet de la censure.
Alpinisme est entièrement confié à son directeur Lucien Devies en 1942, qui en assura la survie. 

Dans les années d'après-guerre, ce sera l'explosion des loisirs et le goût pour les activités de pleine nature, mais paradoxalement le manque de collaborations bénévoles va peser de plus en plus.

1950 - L'Annapurna

Le premier sommet dépassant l'altitude de 8000m sera la réussite de l'expédions française avec le patronage et la participation du GHM, omniprésent au niveau des hommes comme au niveau de l'organisation et avec l'implication forte - essentielle - de Lucien Devies (voir le dossier du CFD : Un historique des expéditions lointaines françaises institutionnelles).

À propos de l'Annapurna

À la fin du XXe siècle et à l'approche du cinquantenaire de l'ascension de l'Annapurna, certains hors contexte et utilisant des informations partielles et des « on-dit » ont voulu exploiter l'événement historique à des fins d'édition et en développant la thèse empoisonnée de la suspicion.

Pourtant la description précise donnée par les deux du sommet constituait une information essentielle, irréfutable et définitive avec :

La grande falaise terminale et le couloir permettant l'accès au sommet, que personne, sauf eux, ne pouvait connaître (voir le dossier du CFD : Un historique des expéditions françaises lointaines institutionnelles / Année 2000 / Annapurna 1950).

Un remarquable travail de Jean-Jacques Prieur, dans la publication du Groupe de Haute Montagne, permet de s'informer et de comprendre :

- Annapurna, une affaire de cordée ou de photos ? Cimes 2014.
- Annapurna, la conjuration du cinquantenaire. Cimes 2015.

En mai 2022, parution du livre ANNAPURNA 1950 chez l'éditeur Héliopoles, de Christian Greiling. L'ouvrage pertinent et indiscutable replace l'événement correctement.

Ce travail d'un historien - extérieur à nos cercles habituels - revient sur les égarements de quelques auteurs sans scrupules en mal d'édition des trente dernières années. L'auteur démonte les nombreux arguments avancés par les polémistes, et souligne que le livre tant décrié d'Herzog s'appuyait en fait sur les écrits de plusieurs membres de l'expédition, et déjà publiés dans les journaux de l'époque.

1955 - Le titre La Montagne & Alpinisme

En février 1955, c'est la fusion des deux titres que l'intérêt général commandait.

Un protocole final actant cette fusion est signé rétrospectivement en 1961 par le Club Alpin Français et le Groupe de Haute Montagne (voir le dossier du CFD : Les revues du Club Alpin Français).

Alpinisme étant préalablement revenu dans le giron du GHM, par le protocole également rétroactif de 1958.

De simples mises en conformités administratives pour ce nouveau titre : La Montagne & Alpinisme.

Une légitime fierté

La légitime fierté, de celui qui a tenu à bout de bras la revue Alpinisme pendant 25 ans, est exprimée dans le dernier éditorial de la parution :

« Témoignage des alpinistes les plus entreprenants "Alpinisme" est conscient d'avoir valablement exprimé pendant 29 ans l'alpinisme français et même l'alpinisme dans le monde entier. Il est convaincu d'avoir été pour les grimpeurs français, l'inspirateur d'une action consciente, à la fois équilibrée et audacieuse ».

C'est un des rares satisfecit que l'on trouvera de la main de Lucien Devies, concernant son immense travail.

Nous n'omettrons pas d'ajouter les commentaires publiés par l'« Alpine Climbing Group », association réunissant les meilleurs alpinistes britanniques :

« L'influence de la revue "Alpinisme" sur l'alpinisme français a été indéniable et capitale. Elle a aussi certainement encouragé les progrès rapides et le développement de l'alpinisme en général…
Une influence qui s'est fait sentir dans de nombreux pays étrangers.
Il n'est pas exagéré de dire que l'Alpine Climbing Group a été constitué dans une large mesure sous l'impulsion directe de cet ouvrage
.
"Alpinisme" nous a donné une image franche de l'alpinisme de l'après-guerre.
Elle nous a permis un aperçu sur les méthodes d'ascension contemporaines, une image réelle et sans préjugés ; elle nous a démontré que l'alpinisme est un sport raisonnable et non fanatique et nous a incité à essayer des ascensions similaires. 

Les Alpes ayant ainsi été mises à notre portée, plusieurs parmi nous avaient été amenés à former le club ».

1955 - Les Annales du GHM

Avec la fusion des deux titres, pour rendre compte des actes officiels de l'association, et publier les informations portant sur les itinéraires nouveaux ou remarquables, le GHM fera paraître des Annales dans la lignée de l'Annuaire de 1926-1935. 

Les Annales seront éditées de 1955 à 2001, pour être ensuite remplacées par la revue Cimes en 2002, qui s'éteindra en 2015.

Le camping du COB puis du GHM

Pour mémoire, au sortir de la guerre 39-45 un terrain de camping est loué au sud de Chamonix, aux Favrands, par le Club olympique de Billancourt, attaché au Comité d'établissement Renault. Plus tard, le terrain sera repris en location par le GHM, il verra passer quelques uns des meilleurs alpinistes citadins des années 1950 à 1970.

LA SECONDE PARTIE DU XXeSIÈCLE

Le Groupe de Haute Montagne a été intimement lié à l'organisation des grandes expéditions, qui ont permis la présence française sur les plus hautes montagnes de la terre, durant la seconde partie du XXsiècle, aux succès des meilleurs alpinistes sur les montagnes du monde, et aux initiatives visant à diffuser la connaissance de ces montagnes.

Le groupe est aujourd'hui le garant d'une pratique sportive de l'alpinisme et apporte une forme d'expertise en la matière.

L'historique complet du GHM jusqu'à nos jours

L'historique complet du Groupe de Haute Montagne - association indépendante depuis 1930 - est accessible sur le site : www.ghm-alpinisme.fr

1919-2019

L'association pourra célébrer son centenaire en 2019. Peu d'institutions ont l'occasion de marquer un pareil événement.

Pour cette circonstance, accueil par la ville de Chambéry pour une réunion très amicale organisée les 23 et 24 novembre 2019, parallèlement à l'assemblée générale annuelle de l'association et avec la présentation d'un livre consacré à son histoire : Haute montagne, rédigé par Philippe Bras, David Chambre, Gilles Modica et Bernard Vaucher, aux éditions du Mont Blanc-Catherine Destivelle.

Une participation éminente à l'histoire de l'alpinisme

On lira la participation du GHM à l'histoire de l'alpinisme en consultant les différents dossiers du Centre Fédéral de Documentation (CFD) de la FFCAM :

- Un historique de l'alpinisme de 1919 à 1939
- Un historique de l'alpinisme depuis 1945 en Europe
- Un historique de l'alpinisme depuis 1945 dans l'Himalaya et dans le monde

- Un historique des expéditions lointaines françaises institutionnelles
- Le Club Alpin Français de 1919 à 1940 
- Le Club Alpin Français de 1941 à 1974
- La plaquette « Lucien Devies » de 1981

Les insignes du GHM

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L'insigne 1919 qui sera contesté en 1923

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L'insigne de 1923, c'est la célèbre "cuillère" - hauteur: 44 mm, dessiné par E. Monod-Herzen. Cet insigne était réalisé en métal bruni dans les premières années, en métal blanc ensuite.

La photographie de 1930 montre une sortie du groupe où l'insigne est particulièrment mis en valeur.

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L'insigne de 1961 de taille plus modeste 23 mm proposé par Guido Magnone.

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L'insigne actuel de même dimension

CONSULTATION

La plupart des textes concernant l'historique de la montagne et de la FFCAM sont disponibles au Centre fédéral de documentation de la FFCAM,  24, avenue de Laumière, 75019 Paris.

Notamment dans les différentes publications :

- Les Annuaires du CAF, de 1874 à 1903.
- Les Bulletins du CAF, de 1876 à 1903.
- La Montagne, de 1904-1905 à 1954.
- Alpinisme, de 1925 à 1954.
- La Montagne & Alpinisme, depuis 1955.
- Les Annales du GHM, de 1955 à 2001 et Cimes, de 2002 à 2015.

Les livres constituant la bibliothèque de la FFCAM sont tous référencés.

CONSULTATION EN LIGNE

Accès aux références
Vous pouvez consulter en ligne le catalogue du CFD avec un accès aux références pour l'ensemble des articles des périodiques et pour les livres.

Il suffit de saisir un mot caractéristique ou un des mots clés d'un ouvrage recherché, dans l'un des champs appropriés (auteur, titre, sujet, année d'édition) et vous aurez accès aux références.

Accès aux publications

Vous pouvez rechercher en ligne les titres suivants :

 - Les Annuaires du CAF, de 1874 à 1903, consultables sur le site de la Bibliothèque nationale : http://gallica.bnf.fr
- Voir aussi : www.archive.org et utiliser le mot clé : club alpin français.
- Les Bulletins du CAF, de 1876 à 1903, consultables sur le site de la Bibliothèque nationale : http://gallica.bnf.fr
- La Montagne, de 1904-1905 à 1954, consultables sur le site de la Bibliothèque Nationale : http://gallica.bnf.fr
- La Montagne & Alpinisme, depuis 1955, consultables sur le site de la Bibliothèque nationale : http://gallica.bnf.fr
- Enfin, Alpinisme, de 1926 à 1954, accessibles sur le site du GHM, avec Les Annales du GHM (1955-2001) et Cimes (2002-2015).